Touchés par des maux d’ordre socio-économiques, les gabonais assistent impuissant, à la mort de leurs villages. Ce phénomène est dû à l’exode rural qui, entre 1994 et 2004 a fait chuter la population rurale de 54% à 15%. Le manque de perspectives pour bon nombre des jeunes notamment explique le délaissement des villages au profit des villes.
Du nord au sud, d’ouest en est en passant par le centre, les quatre coins du Gabon où la rédaction de La Lettre Verte a mené son enquête, le scénario est le même : sur les lignes des villages, des maisons abandonnées, des écoles approximativement fréquentées et l’inexistence des habitants. Seuls quelques sexagénaires pour la plupart des retraités y sont présents. Et ce scénario touche aussi bien les coins autrefois à renommé démographique comme le Woleu-Ntem que ceux du centre notamment à Makokou.
Les mutations de ces dernières années, le manque des perspectives pour la population active rurale et l’inexistence voire l’inadéquation des politiques publiques touchant le problème des « villageois » à la racine et partant, les perspectives de vie qu’offrent en effet la capitale, Libreville, peuvent en expliquer l’évolution du phénomène. En effet, entre 1994 et 2004, l’exode rural s’est largement accentué. En dix ans, la population rurale a régressé jusqu’à 15% (chiffre de 2004). En 1994, elle représentait 54% de la population totale. Si la tendance est généralisée à l’ensemble de la population, ce sont les jeunes qui sont le plus touchés par le phénomène. Le manque d’université, l’absence des tissus économiques locaux dynamiques, le problème d’électrification des villages, d’infrastructures de transport (la route en premier plan) sont les causes qui poussent les jeunes a préféré la capitale, Libreville que leur localité d’origine. Et, plus les années passent, plus le phénomène tend à s’accentuer et se généraliser.
Mbadi et Butengas, deux exemples
Le village de Mbadi situé à une dizaine de kilomètres de la localité de Ndendé dans la province de la Ngounie et Butengas, situé à quelques kilomètres de Bitam, dans la province du Woleu-Ntem sont deux modèles de villages aux racines et cultures différentes, visiblement touchés par le même problème : celui de l’exode rural. Partiellement habité, le premier village, Mbadi, vit certainement ces derniers jours ou presque. Ni enfants, ni jeunes en âge mature dans le village ne sont présents. Les quelques maisons qui existent sont pour la plupart sans habitants. De même, l’activité au village rythme au ralentie. Bordé tout autour de plaine, l’agriculture et les activités qui s’y rapportent, sources de revenus, sont peu développées. Et le peu d’habitants encore présents doit s’y accoutumer. Quant à l’école, elle est vouée à sa triste fin. Construite dans les années 80 avec un cycle normal, l’école tourne elle aussi au ralenti. Seuls les Cycles de première année, troisième et quatrième année fonctionnent selon les explications fournies par le directeur de l’école pour un effectif total de quatre élèves encadrés par deux enseignants. « Il n’y a pas de deuxième ni même de cinquième année », explique le directeur de l’école et cette situation perdure. En 2015 en effet, l’école comptait un effectif de seulement cinq élèves. C’est dire que c’est une constance là-bas !
A Butengas, dans le Haut-Ntem, la situation est quasiment la même qu’à Mbadi au sud du Gabon. Sur le long du village la présence d’enfants se fait rare. Seuls quelques anciens sont présents. Le sort de l’école public construite par l’agro-industrielle Olam suivant le contrat social établi avec les villageois est inexploité mais suit la même trajectoire que celle du village du sud. « Depuis la rentrée scolaire, l’enseignant était ici, a fait les inscriptions et est parti on ne sait trop pourquoi », explique un notable du village. Pour le notable, ce départ ne peut s’expliquer car toutes les conditions ont été réunies pour faciliter le travail de l’enseignant envoyé par l’Etat. Les élèves, le logement, rien ne manque à l’enseignement. A l’analyse, le problème pourrait découler d’une absence des élèves. Que ce soit à Mbadi ou dans cette localité, les enseignants se sentent sous-employés et cela ne les réjouit guère et pousse souvent certains à renoncer à leur devoir.
De la nécessité des politiques centrées sur l’arrière-pays
Si ces parties du Gabon sont affectées par le phénomène de l’exode rural, que peut-il en être des autres localités ? Les perspectives de réponses à une telle question dressent déjà l’issue des possibilités. A défaut d’assister à la recrudescence du phénomène, peut-être serait-il temps de songer à l’avenir, aux mécanismes d’optimisation d’établissement des populations autochtones dans les villages. Car bien plus que des simples lieux d’installations, les villages sont les garants de la culture nationale socle de toute identité. Si sur une période de dix ans, la chute est considérable (de 54% à 15% aujourd’hui) il faut envisager, si rien n’est fait d’ici les autres dix prochaines années, que la population rurale ne représente que 1% de la population nationale. La dynamique avec laquelle les populations, les jeunes en partie épousent rapidement les autres cultures au détriment de la leur, le refus de s’installer en campagne faute de garanties sociales et économiques sont des aspects à adosser à cette convergence.
De la même manière qu’on pense aux mécanismes d’optimisation du rendement sectoriel à l’exemple de ceux des technologies de l’information et de la communication ou du développement des pôles économiques plus compétitifs, de cette même manière, il faut regarder comment concilier ces politiques à une volonté de développement des « nos » villages.
Bien des jeunes, à l’exemple de ceux rencontré dans les villages situés à quelques kilomètres de la localité de Makokou sont prêts à ne pas partir des villages et de participer à l’essor de l’arrière-pays mais devant la phalange d’inégalités dont ils sont victimes au quotidien le choix et très visible pour eux. La seule réponse à la nécessité de contenir le phénomène d’exode rural au Gabon demeure dans l’adoption des politiques centrées sur les villages et favorisant l’accès à l’électricité, à l’éducation et la formation, aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, aux routes viables et aux inégalités économiques pérennes.
Michaël Moukouangui Moukala