Jean-Louis Doucet, chercheur et enseignant à Gembloux AgroBio-Tech, parle de son travail et des écosystèmes forestiers tropicaux dans un film sur le voyage de terrain de ses étudiants (https://www.atibt.org/fr/announcements/221/plaidoyer-du-professeur-jean-louis-doucet-pour-une-gestion-durable-des-forets-tropicales), ainsi que dans un documentaire sur la biodiversité en forêts.
Professeur de foresterie tropicale à Gembloux Agro-Bio Tech, Jean-Louis Doucet confesse ne pas manquer une occasion de quitter la grisaille belge pour retrouver la chaleur des forêts d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, multiplie les projets au service du deuxième plus grand massif forestier continu au monde, après l’Amazonie. « Nous étudions différentes méthodes d’appui à la régénération d’espèces tropicales, explique le chercheur, ainsi que la manière dont la faune, comme les éléphants ou les grands félins, influe sur la régénération de la forêt. »
Jean-Louis Doucet est également impliqué dans des projets d’agroforesterie comme la culture durable de cacao, ou encore la production d’ouvrages de vulgarisation scientifique autour du bois tropical. « La reconnaissance des espèces est un savoir qui se perd, déplore-t-il, et nous essayons de le sauvegarder autant que possible. Je travaille également sur des livres décrivant l’utilisation du bois, en consignant ses usages et ses propriétés. »
Exploiter les forêts … pour les protéger
Promouvoir l’utilisation du bois tropical pour lutter contre la déforestation : une idée à première vue contradictoire, qui semble aller à l’encontre de l’effort actuel pour sauvegarder les forêts du monde entier. « Personne ne conteste la nécessité de les préserver, au travers des réseaux d’aires protégées, nuance Jean-Louis Doucet. Mais il est également fondamental qu’une partie soit exploitée pour produire du bois d’œuvre. Sans cela, ces forêts n’auront plus de valeur pour les États du Sud, qui préfèreront alors les raser pour les convertir en terres agricoles. Exploiter la forêt, c’est participer à la protection de toutes les espèces qui y vivent. »
Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela n’a rien à voir avec de la déforestation. « Les forêts tropicales sont extrêmement diversifiées, et toutes les espèces ne sont pas exploitables pour produire du bois, relate le chercheur. En Afrique centrale, seul un arbre est exploité par hectare, tous les 20 à 25 ans. Cela fait environ un arbre par terrain de foot ! »
D’autant qu’utiliser ce bois contribue à lutter contre le réchauffement climatique. « En évitant la conversion des terres, l’exploitation forestière permet le maintien d’importants stocks de carbone. Par ailleurs, le dioxyde de carbone capté par la forêt est fixé dans le bois pendant toute la durée de son utilisation, indique Jean-Louis Doucet. Et le bois tropical possède de nombreuses propriétés intéressantes, que ce soit en termes d’esthétisme et de durabilité, surtout en extérieur… Pourtant, à force de présenter l’exploitation des forêts tropicales comme source de déforestation, le consommateur européen s’en détourne au profit d’autres matériaux comme le PVC ou l’aluminium, qui sont des sources importantes d’émission de gaz à effet de serre ! »
Tous ensemble
Le chercheur milite donc pour un développement des collaborations avec les pays responsables de ces forêts. Et là encore, loin des clichés sur l’Afrique, nombre d’entre eux y travaillent d’arrache-pied. « Plusieurs pays d’Afrique centrale font des efforts considérables pour impulser une politique de gestion durable des forêts, avec la mise en place d’une législation adéquate, soutient-il. Et d’autres, comme le Gabon, vont encore plus loin, en imposant à tous les exploitants forestiers d’aller vers une certification de gestion durable, via les labels FSC ou PEFC. D’ici peu, la quasi-totalité des forêts gabonaises sera certifiée durable, quand le reste sera sous aire protégée. »
De son côté, Jean-Louis Doucet essaie autant que possible de mettre son expertise au service de la communauté. Il est ainsi administrateur de l’ATIBT, l’Association Technique Internationale du Bois Tropical, qui cherche à fédérer l’ensemble des acteurs de la foresterie tropicale autour d’une gestion durable. Les exploitants bien sûr, mais aussi les négociants, les bureaux d’études… « Le but est de sensibiliser l’ensemble de la chaîne d’exploitation à de meilleures pratiques », résume le chercheur.
Il est également actif au sein de Nature+, une association qu’il a contribué à créer et qui promeut également une gestion durable en milieu naturel tropical, grâce à une collaboration avec l’Université de Liège. « Cela permet de combiner la recherche fondamentale menée par la faculté, et la mise en œuvre des résultats obtenus directement sur le terrain, en impliquant les populations locales et des exploitants privés », développe-t-il.
S’ouvrir au monde
Parmi tous les acteurs de cette chaîne d’exploitation, l’Université occupe sans nul doute une place à part pour le professeur, qui donne une partie de ses cours directement sur place, au milieu de la forêt tropicale. « J’emmène mes étudiants et étudiantes trois semaines au cœur d’une concession forestière, afin qu’ils se familiarisent avec toutes les étapes du processus, depuis les techniques d’exploitation jusqu’à la gestion de la faune et la participation des populations riveraines, détaille-t-il. Une telle ouverture est selon moi indispensable pour leur inculquer un certain regard critique. »
Un regard que Jean-Louis Doucet souhaiterait voir se diffuser plus largement au sein de la population européenne, afin de l’amener à rester ouverte sur le monde. « Il y a une tendance actuelle au protectionnisme et au repli sur soi, et j’insiste beaucoup auprès de mes étudiants pour qu’ils aillent à la rencontre des autres, souligne-t-il. C’est pour moi la meilleure manière d’amener les générations suivantes à faire mieux que par le passé. »
La Rédaction