Joyau naturel de biodiversité, cerné au Nord-Est du pays par le Congo et le Cameroun, le parc national de Minkébé, rare réserve inhabitée du Gabon, dans la province du Woleu-Ntem, est toujours sujette au trafic de l’or, en dépit du relèvement du niveau de surveillance de cette zone il y a plus d’une décennie. Les trafiquants, des exploitants illégaux congolais, camerounais et autres, pénètrent illicitement sur le sol gabonais à la recherche du précieux minerai.
Minkébé, si cette appellation est synonyme au Gabon de conservation de la biodiversité, elle renvoie tout aussi aux extrêmes qui touchent l’exploitation illégale des ressources naturelles. Braconnage, trafic d’ivoires, trafic de l’or et…, la plus grande réserve naturelle du Gabon dotée d’une superficie de plus de 7600 Km² est sujette à tous les maux, en dépit de l’attention que lui portent les autorités gabonaises. Souvenons-nous, il y a plus d’une décennie, une opération de « déguerpissement » avait été diligentée par l’ancien président de la République, Ali Bongo Ondimba pour rétablir l’ordre au sein de ce parc soumis aux trafics de tout genre.
Minkébé, « zone de non-droit »
« Poumon vert du Gabon » et hébergeant la plus grande population d’éléphants du pays, Minkébé (le parc) était devenu au fil des années, une zone de non-droit où immigrés clandestins en complicité avec les locaux faisaient la loi. Le parc était notamment prisé pour son abondance en éléphants, soit près de 50.000 individus et pour la richesse de son sous-sol, notamment en or et en diamant qui continuent de susciter la convoitise des communautés voisines et des bandes organisées. « Minkébé avait atteint, il y a un passé lointain, un niveau d’insécurité qui ne disait plus son nom. Le parc était devenu un lieu de non droit, c’est-à-dire, une zone où les congolais, les camerounais… pénétraient pour exploiter de l’or, au point que l’Etat, voyant la dangerosité de la situation, avait amendé une opération de déguerpissement des exploitants illégaux », relate Louembé Stéphane, Conservateur du parc de Minkébé. Ce dernier se souvient de cette diligence comme si c’était hier.
Épuisement de la Ressource
Au fil des années, ces intrusions ont eu pour conséquence d’épuiser la ressource, notamment de l’or au point que les exploitants veulent désormais pénétrer dans le parc pour exploiter les réserves disponibles préservées par l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN). « Le parc a été tellement sécurisé que les sites d’orpaillages situés hors du parc sont tous épuisés. Les populations gabonaises n’ayant pas assez de moyens utilisaient les populations expatriées pour exploiter l’or. Mais c’était une exploitation vraiment anarchique. Conséquence, ils ont facilement épuisé les stocks d’or disponibles. Aujourd’hui, la ressource restante est celle qui a été protégé par la Conservation. Étant l’une des rares activités dans la zone à faire vivre les populations, on est confronté au fait que les exploitants d’or veulent exploiter les réserves classées », explique Stéphane Louembé.
L’immigration clandestine, une menace pour Minkébé
La convoitise de Minkébé est en partie due à sa proximité avec le Congo et le Cameroun. En effet, au Nord et Nord-Est, le parc est juxtaposé avec les limites du Gabon au Congo et du Gabon au Cameroun. Pour Stéphane Louembé, il est évident qu’il y ait facilement des intrusions des ressortissants congolais et camerounais et même d’autres nationalités. De plus, explique-t-il, l’absence des villages gabonais à la lisière de ce parc facilite l’intrusion des immigrés clandestins. « Chez les autres, au niveau de la partie camerounaise, il y a des villages avant d’atteindre le parc. Idem pour la partie congolaise. Par contre, au niveau du Gabon, quand on traverse la frontière, on tombe directement sur le parc. En partie parce qu’il n’y a pas d’habitations et donc pas de première barrière », fait constater le conservateur de Minkébé. Cette absence des populations gabonaises à la frontière constitue un facteur qui facilite la violation des frontières gabonaises en comparaison égale. C’est d’ailleurs cela qui avait motivé les autorités de l’époque à diligenter un détachement militaire en soutien à l’équipe de 50 Ecogardes de l’ANPN qui veillent à la sécurisation des 7600 km² du parc.
La « Relève » de Minkébé, nécessaire mais insuffisante
Tous les trois mois, plus de 140 Écogardes et militaires se relaient dans le parc national de Minkébé pour veiller à sa sécurité. La décision de diligenter un détachement militaire dans cette partie du Gabon pour appuyer les Écogardes fait suite à l’insécurité qui y régnait. Si près de 13 ans après, cette politique de sécurisation mise en place en 2011 par l’ancien président de la République, Ali Bongo Ondimba, porte significativement ses fruits, des efforts doivent encore être consentis. L’immigration clandestine, la circulation des armes, le trafic d’ivoires et de l’or, le trafic des stupéfiants, le trafic humain, et par-dessus tout, l’insécurité territoriale gagnent du terrain malgré le travail remarquable des Forces armées gabonaises (FAG) qui ces dernières années, ont circonscrits les menaces. Face à ce constat, Stéphane Louembé, le conservateur du parc de Minkébé appelle de tout son vœu à un relèvement des effectifs, des moyens matériels et financiers pour l’optimisation de la sécurisation du parc. De 140 hommes affectés à Minkébé, le Conservateur estime qu’il faudrait 390 éléments (Ecogardes et FAGs) pour mieux atteindre les objectifs de sécurisation du parc. Un nombre qui permettrait de mieux répondre aux impératifs, sachant que sur les 40 Écogardes disponibles, un Écogardes doit couvrir une superficie de 80 Km² en termes de surveillance. « L’effectif que nous disposons actuellement est insuffisant pour assumer une telle superficie. Nous faisons avec les moyens de bord. C’est insuffisant en termes de logistique. C’est insuffisant en termes de financement. Mais nous mettons en place des stratégies pour maximiser la surveillance dans les zones « Rouges » qui sont la plupart du temps les frontières », conclut Stéphane Louembé confiant pour l’avenir de la préservation du parc de Minkébé.
L’équilibre écologique du parc en danger
A expérience comparable, un trafic intense des ressources naturelles dans une zone de droit telle que celle de Minkébé n’est pas de nature à être bénéfique pour la préservation de l’environnement. En Guyane française, où l’exploitation illégale de l’or et des ressources naturelles est assez répandue, l’équilibre écologique des écosystèmes est menacé du fait des incidences que procurent les activités souvent non maîtrisées des exploitants illégaux. Braconnage à outrance, trafic d’ivoires, destruction de la forêt à des fins d’espace pour les bases vies, modification du lit des rivières et parfois destruction des cours d’eau, usage des produits chimiques, en l’occurrence le mercure lors de l’exploitation de l’or, les trafiquants n’ont généralement que faire du respect des procédures en matière de préservation de l’environnement. Zone très hostile, la perméabilité de Minkébé ne permet pas aujourd’hui à une mission scientifique de quantifier les conséquences des activités illicites des immigrants clandestins sur la biodiversité. Mais ce que Stéphane Louembé sait, c’est que « le fait de conserver permet de séquestrer le carbone. » Avec sa forêt encore primaire, Minkébé a un grand impact sur la lutte contre les changements climatiques.
Michael Moukouangui Moukala