Entre mysticisme et valeur nominale marchande élevée sur les marchés étrangers, le Kevazingo ravive les désirs au Gabon. Des communautés aux exploitants forestiers, tous désirent ce bois qualifié de « précieux ». En 2015, l’annonce d’interdiction de son exploitation au Gabon a circonscrit son usage, malgré le trafic qui existe en douce. Interview sur le Kevazingo avec Monsieur Ndjondo Michel, Inspecteur des Eaux et Forêts.
La Lettre Verte : Bonjour Monsieur. Le Kevazingo est un arbre qui fait tant parler de lui au Gabon ces dernières années. Pouvez-vous nous présenter cette essence d’arbre?
Monsieur Ndjondo Michel : Bonjour. Le nom Kevazingo est un polite ou si vous voulez une appellation familière. Il existe plusieurs variétés de cet arbre : le Demeuseï, le Guibourtia tessmanii, le pélégriniana… Le plus prisé actuellement au Gabon est le Guibourtia tessmanii. Cette variété du Kevazingo étant fortement commandée en Asie.
La Lettre Verte : Retrouve-t-on toutes ces différentes variétés au Gabon ? De même, quel est le temps de croissance d’un Kevazingo ?
Monsieur Ndjondo Michel : Effectivement toutes ces essences sont bien présentes au Gabon. Cet arbre dans sa variété atteint l’âge adulte à partir de 90 ans. Mais il faut noter que ceux ayant les plus grands diamètres peuvent atteindre les 100 ans et plus.
La Lettre Verte : Pourquoi cet arbre est-t- il perçu comme sacré par certaines communautés au Gabon ?
Monsieur Ndjondo Michel : Il est perçu comme sacré parce qu’il présente en effet des aspects mystico-spirituels traitant plusieurs pathologies. Les spécialistes de la question abordent ce sujet, car ils utilisent cet arbre de la racine à la feuille.
La Lettre Verte : A quel moment exploite-t-on cette essence et quels en sont les différents usages ?
Monsieur Ndjondo Michel : Généralement, il faut attendre que le Guibourtia tessmanii atteigne les 70cm de diamètre pour être exploité. Quant à la question de son usage, les plus hautes autorités ont instruit de l’exploiter après la troisième transformation, afin d’en faire du mobilier (bureaux, meubles…), donc en produits finis.
La Lettre Verte : Pourquoi cette essence d’arbre est-t-elle tant prisée par les exploitants forestiers au Gabon ?
Monsieur Ndjondo Michel : Le Kevazingo est tant prisé, notamment par les exploitants chinois à cause de sa valeur économique qui est assez considérable. Il faut savoir que le mètre cube de ce bois peut graviter autour de 700.000 francs CFA vendu localement ; et qu’après exploitation, il va à plus du million de nos francs à l’extérieur. Cette essence est vraiment à la demande vu qu’elle sert jusqu’à la réalisation des monuments en Asie. Mais c’est surtout sa résistance qui fait qu’elle soit très usitée des consommateurs asiatiques, car son niveau de conservation est assez élevé.
La Lettre Verte : Le Gabon fait partie des pays composant la grande forêt tropicale du bassin du Congo, avec des caractéristiques forestières qui se rapprochent des forêts de ses voisins. Ces similitudes permettent-t-elle d’entrevoir la croissance du Kevazingo dans les autres forêts du bassin du Congo?
Monsieur Ndjondo Michel : Oui on peut retrouver le Kevazingo dans les autres forêts du bassin du Congo. Cette essence se trouve bien ailleurs, mais il faut noter que c’est dans la zone Nord du Bassin du Congo qu’on la retrouve plus.
La Lettre Verte : En 2015, le Président de la République, Ali Bongo Ondimba a pris une mesure interdisant l’exploitation et la commercialisation du Kevazingo au Gabon. Comment en tant qu’Ingénieur des Eaux et Forêts appréciez-vous cette décision ?
Monsieur Ndjondo Michel : Personnellement, cette initiative visant à interdire l’exploitation de cette essence au Gabon est une très bonne décision. Non seulement elle a permis de domestiquer la transformation de cette essence, mais aussi, cette interdiction a permis d’avoir une meilleure vue sur la gestion de ce patrimoine national.
La Lettre Verte : L’usage abusif des ressources naturelles menace l’équilibre de certaines espèces. Dans le cas du Kevazingo, quelle pourrait être la conséquence d’une exploitation abusive ?
Monsieur Ndjondo Michel : Probablement la disparition de cet arbre. Comme je vous l’ai précédemment indiqué, il faut à peu près 70 ans pour qu’un arbre atteigne la croissance requise pour être exploité. Si nous ne gérons pas de façon durale cette essence, les générations futures n’en profiteront pas. Et ce serait aussi une perte énorme pour son utilité médicinale, aussi bien dans le domaine de la médecine traditionnel que moderne.
Propos recueillis par Michaël Moukouangui Moukala