Pour développer leur communauté, l’Association des lacs Oguemoué (ACLO), à Lambaréné, dans la province du Moyen-Ogooué, se bat depuis quelques années pour disposer d’une forêt communautaire à des fins de développement communautaire. Quoique bien perçu, le projet ne fait cependant pas consensus.
Situé à près de 2 heures de navigation sur le fleuve Ogooué et des lacs perdus dans les entrailles de l’étendue forestière de la province du Moyen-Ogooué, le lac Oguemoué se dresse sur une superficie de 36m².Figurant parmi les plus grand lac du pays, le lac Oguemoué est cependant riche d’une diversité faunique et floristique. En 2021, fort de cette reconnaissance et face à l’anarchie perceptible dans l’exploitation des ressources tant halieutique, faunique que floristique, les habitants du lac se sont lancés au travers de l’association ACLO, dans un processus de création d’une forêt communautaire.
L’idée est partie de l’expérience mal vécue par les populations durant les années d’exploitation forestière par la société chinoise, Sunly-Gabon du groupe COFCO, titulaire d’un permis forestier incluant la quasi-totalité des villages du lac et les richesses qui la compose. A cela, s’ajoute le fait que l’exploitation forestière dans cette partie du Gabon n’a jamais bénéficié aux ressortissants. RSE boiteuse et interdiction aux populations de prélever la ressource dans les eaux, la forêt, d’user de celle-ci ou de la terre à des fins agricoles ou culturelles, l’espace géographique englobant le lac n’était plus d’appartenance naturelle des populations. A Oguemoué, on se souvient de cette expérience comme si c’était hier. La présence de cette société à tout, sauf profité aux populations.
Reprise des droits foncier par l’Etat
Depuis ce tragique épisode, l’Etat a repris ses droits fonciers sur les ressources du lac. Mis à part la pêche et la chasse durable, l’exploitation forestière sans autorisation est interdite. Acquis depuis plusieurs années dans l’ordonnancement juridique national, l’esprit du Torrens Act du 2 juillet consacrant en effet à l’Etat, le rôle de propriétaire ou gestionnaire exclusif des terres a été acté. Cette disposition suppose qu’il n’y a plus de propriété tribale, ni clanique encore moins lignagère au lac. La propriété foncière étant désormais essentiellement du ressort de l’Etat. Ce qui de facto, limite le champ d’action des populations dans leurs activités traditionnelles. Même si suivant le Code forestier, ces dernières peuvent user des leviers juridiques pour jouir de leur droit d’usage, d’autant plus que selon le même Code forestier, « le classement ou déclassement d’une forêt (…) s’effectue par voie règlementaire ». En suivant cette voie, les populations ont la possibilité de solliciter auprès de l’Etat, un domaine forestier rural.
C’est justement cette voie que l’association ACLO tente depuis 2021 de suivre dans l’objectif de parvenir à la création d’une forêt communautaire. Les enjeux entourant ce projet sont principalement le développement communautaire de la localité des lacs. « Pendant plusieurs années, de nombreux exploitants forestiers se sont relayés dans le lac. Vous avez traversé des villages pour venir jusqu’ici et je pense que vous avez constaté par vous-même le sous-développement manifeste du lac. Les populations sont parties d’un constat de l’échec des années d’exploitations forestière, pour se réunir autour de l’association ACLO pour la création d’une forêt communautaire qui va bénéficier à tous, par le profit des opportunités offerts par la biodiversité, le carbone et les produits forestiers non liés et bien d’autre », a fait savoir Cyrille Mve, membre actif du bureau dCLO.
Enjeux de la création d’une forêt communautaire
Les forêts communautaires sont en effet l’avenir pour le développement des localités, surtout dans les pays comme le Gabon où les questions d’aménagement du territoire, de décentralisation et de développement local ne sont pas au centre des priorités de l’action publique. Mais qu’est-ce qu’une forêt communautaire? Une forêt communautaire est une portion de forêt sur laquelle l’Etat donne des droits d’utilisation à une communauté villageoise qui en fait la demande. Cette forêt, qui continue à appartenir à l’Etat, est gérée par la communauté villageoise concernée, avec l’assistance technique de l’administration des forêts.
Au Gabon, c’est le ministère des Eaux et Forêts qui a autorité a attribué cette catégorie de forêt sous réserve comme cela est mentionné, d’une demande. Ces espaces s’inscrivent dans le processus de reconnaissance des droits des communautés à disposer des ressources naturelles entourant leur localité ou village dans le continuum de la gestion durable des forêts. En 2022, après 13 ans d’interruption, le Gabon a relancé le processus d’attribution et de gestion des forêts communautaires. D’après les statistiques officielles, le pays compte aujourd’hui près de 70 forêts communautaires légalement reconnues. Malgré leur importance, la mise en place de ces forêts est souvent sujette à caution au Gabon entre les communautés elles-mêmes. C’est ce que laissait entendre Ghislain Moussavou, le directeur général des forêts lors d’une interview. « On a également constaté les querelles et disputes entre les populations, car même là où il n’y a pas d’exploitation forestière, les communautés ne parviennent pas à vivre ensemble », précisait-t-il.
A Lambaréné, le difficile combat d’ACLO
A Lambaréné, l’association ACLO subit de plein fouet le constat dressé par le directeur général des forêts. Malgré les bonnes intentions de son projet consistant en la création d’une forêt communautaire pour le bien des huit villages qui composent la communauté du lac Oguemoué, celui-ci piétine face aux divergences qu’il induit entre les communautés et villages. Mal compris et perçu, le projet ne fait pas l’unanimité pour de multiples raisons. D’une part, à cause des intérêts claniques et individuels autour et d’autre part, à cause du manque d’information et de sensibilisation dont souffrirait le projet. « Lorsqu’un projet doit se faire dans notre communauté, les initiateurs doivent nous faire asseoir pour dire ce qu’ils envisagent, parce que dans le regroupement chaque communauté a ses clans et ses zones déterminées », a fait savoir Augustin Nzoghe, opérateur économique et fils du canton. Pour la veuve Minkomi Nguema, au-delà de s’asseoir, « il faut trouver des solutions qui satisfassent tout le monde. » Ces solutions doivent d’après elle, tourner autour de la fluidité du message pour mieux comprendre le projet. Ce que partagent le Chef de Canton, Pierre Emane et Hélène Amvoume, jeune fille du lac.
De son côté l’association ACLO dit avoir toujours informé les populations sur le projet. « Conformément à la loi, nous avons introduit après la création de notre association, un dossier de demande de forêt communautaire et conformément à la loi, une opposition a été introduite. Cette opposition explique justement le blocage du dossier, c’est-à-dire qu’il n’avance pas parce qu’il nous faut un certificat de non apposition. Face à cela, nous allons vers les populations. Nous leur consultons et expliquons constamment le bien fondé du projet », a laissé entendre le Secrétaire général de l’association ACLO, Patrick Mengane. Renforçant ses actions d’information et de sensibilisation, l’association a tenu le 15 juillet dernier, son Assemblée générale au village Odimba. Très représentés et en dépit des oppositions perceptibles lors de cette assemblée générale, les huit villages qui composent le lac ont été mieux édifiés sur les tenants et les aboutissants du projet. Conscient des défis auxquels est confronté son projet, l’association dit prendre en compte toutes les remarques et oppositions dont elle fait face.
Ce que la forêt communautaire apportera au lac
Au-delà des divergences et face à la configuration actuelle du territoire gabonais qui dépossède de façon naturelle les populations de leurs droits d’usage des ressources sur le territoire, les forêts communautaires s’illustrent comme une garantie de réponse à ce blocage. Elles permettent de mieux intégrer la perspective de développement des communautés par l’effet de la disposition d’espace. Au lac Oguemoué, la mise en place d’un projet dans ce sens n’est, selon le Secrétaire général de l’association, que le prolongement d’une série d’actions déjà réalisées en faveur du bien-être des populations. En effet, « le modèle de forêt communautaire va bénéficier aux résidents locaux » avec la mise en place des projets structurés et fédérateurs. Depuis son établissement en 2021, l’association dit avoir déjà réalisé pas mal de choses qui permettent de conforter sa volonté. Parmi lesquelles, la mise en place des coopératives, d’un plan d’aménagement de pêcherie pour pêcher durablement et d’autres activités qui ont profité aux populations. Avec le projet “Notre forêt, Notre avenir”, l’association ACLO veut aller encore plus loin.
Michael Moukouangui Moukala