Plusieurs mois après la dernière activité similaire, le Gabon a de nouveau été, dimanche 4 décembre, secoué par un séisme dont la magnitude a été évaluée à 4 points. Enseignant-Chercheur en Géosciences à l’Ecole normale supérieure (ENS), Ismaël Estimé Mbagou Mvezueona appelle les autorités à soutenir les scientifiques, en mettant à leur disposition les moyens nécessaires pour mieux suivre et comprendre l’évolution des ondes sismiques dont le pays est victime ces dernières années. Interview.
La Lettre Verte : plusieurs villes du Gabon ont été dimanche 04 décembre, secouées par un séisme dont la magnitude a été évaluée entre 4.8 et 5.7. Certes aucun dégât n’a été déploré, toutefois comment expliquer la recrudescence des tels phénomènes géologiques dans le pays ?
Ismaël Estimé Mbagou Mvezueona : Merci de me tendre votre perche pour expliquer aux Gabonais.ses ces événements géologiques. Pour entrer dans le vif de notre sujet, il faut d’abord comprendre que la terre est vivante, au même titre que vous et moi. Elle produit de la matière dans certains endroits du globe, et la détruit dans d’autres endroits. Nous ne devons pas oublier que la tectonique des plaques, et autres phénomènes géologiques ne se sont pas arrêtés pour autant depuis la dérive des continents il y a des millions d’années.
Pour revenir au cas du Gabon, nos formations géologiques appartiennent à celles du bassin du Congo, notamment le socle (où craton) archéen qui est de nature granitique. Le craton du Congo est celui-là même qui a été fortement impliqué dans la séparation du continent africain et le continent de l’Amérique du Sud.
La séparation entre l’Afrique et l’Amérique du Sud a été causée par de nombreuses activités tectoniques, notamment des cassures appelées failles. Au niveau du Cameroun, juste à côté, nous avons un volcan, qui est certes endormi (en surface), mais qui en profondeur peut être alimenté par du magma d’origine plus profonde. De plus, l’arrivée de cette matière en fusion dans les environnements rocheux souterrains peut provoquer des fractures en profondeur, donc des ondes sismiques ressenties en surface.
La Lettre Verte : Jusqu’à présent le pire n’a pas encore été vécu par les populations. Sommes-nous exposés à un potentiel danger de catastrophes naturelles dues à une secousse sismique ?
Ismaël Estimé Mbagou Mvezueona : en géologie un adage dit ceci : ” les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets”. C’est dire que ces récurrentes activités sismiques depuis un certain temps peuvent évoluer, dans un sens comme dans un autre. Mais ce qui est sûr, c’est que quelque chose se passe sous nos pieds.
La Lettre Verte : Comment se prévenir des tremblements de terre ?
Ismaël Estimé Mbagou Mvezueona : du point de vue géologique, nous sommes dans une zone très calme. Mais vu l’activité sismique qui se passe depuis un certain temps dans notre pays, il est impératif que nos autorités prennent le taureau par les cornes en mettant à la disposition des géologues et autres experts en sismique, les appareils et stations nécessaires pour suivre l’évolution des fréquences de ces secousses. Le but sera d’arriver à anticiper une quelconque menace dans l’avenir et en procédant si besoin, à l’évacuation des populations vivant dans les zones potentiellement impactées.
La Lettre Verte : Pourquoi est-ce toujours presque les mêmes villes qui sont affectées par ce phénomène ?
Ismaël Estimé Mbagou Mvezueona : ces villes sont presque toujours impactées car elles reposent sur un socle archéen, lequel présente une rhéologie (comportement de la roche) de type cassante. Le horst (espace de terrain soulevé entre deux failles) de Lambaréné est déjà instable naturellement, vu qu’il est le résultat de fractures liées à de fortes activités tectoniques.
Aussi, l’une des explications qui pourrait répondre à votre question est sans doute le fait que la faille d’Ikoye Ikobe serait à nouveau active, au regard des zones d’ondes. Cette faille semble à ce titre, être responsable de ces secousses.
Enfin l’autre hypothèse, mais à prendre avec des pincettes, est celle de séismes induits, c’est-à-dire, des séismes liés à des activités anthropiques du fait des humains.
L’existence des failles montre que la zone peut être fragile. Donc si on exerce une activité géodynamique avec une certaine pression, cela peut avoir certaines conséquences. A ce moment, il faut chercher à savoir quelles sont les activités qui sont ou qui ont été menées dans la zone (dans le cadre de la prospection par exemple…). Cela reste toutefois une hypothèse.
La Lettre Verte : un conseil à l’endroit des populations face à ces séismes ?
Ismaël Estimé Mbagou Mvezueona : je conseille les populations de ne pas céder à la panique, encore moins de se laisser avoir par les multiples interprétations qui circulent sur les réseaux sociaux. Mais plutôt, d’attendre les explications des autorités compétentes dans le domaine.
Propos recueillis par Michaël Moukouangui Moukala