Présentée comme un des mécanismes de financement les plus innovants, à l’instar de la finance du carbone, de la dette carbone, l’opération d’échange dette-nature ne serait en réalité qu’une forme d’«ingérence environnementale » ayant peu d’impact sur les trajectoires des pays concernés, selon l’économiste au Cirad, Alain Karsenty.
En obtenant, le 14 août dernier, la restructuration d’une partie de sa dette (environ 3%) en contrepartie de 163 millions de dollars d’investissements dans la préservation de ses océans, sur 15 ans, le Gabon se félicite d’avoir réalisé une opération financière à double bénéfice : réduire le coût de la dette et générer des fonds pour la préservation des écosystèmes. Si cet instrument baptisé échanges dette-nature a tout pour plaire, il est loin de mettre tout le monde d’accord.
Selon Alain Karsenty, économiste et chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), il s’agit tout simplement d’une forme d’ingérence environnementale pour la bonne cause, qui ne sauvera ni la planète ni les finances des pays surendettés, surtout pas ceux du Gabon. Dans une interview accordée à nos confrères de Challenges, le spécialiste sur les réformes des politiques publiques affectant les forêts, le foncier et l’environnement dans les pays en développement, en particulier en Afrique centrale, relève le fait que la souveraineté de l’État entre ainsi en tension avec un principe de responsabilité et de respect des engagements prononcés.
« Au lieu de proposer une remise de dette inconditionnelle, comme ça a pu être le cas dans les années 2000, on introduit une conditionnalité sur la marge de manœuvre accordée à ces pays. On veut bien réduire la dette, à condition que l’argent converti serve pour la conservation de l’environnement. Mais c’est une ingérence. Sauf que parfois, ces pays, qui sont déjà surendettés, ont d’autres priorités – plus urgentes – comme l’éducation, le développement des infrastructures, voire la santé dans lesquelles ils voudraient justement avoir assez de marge pour investir », explique Alain Karsenty.
Déplorant qu’aujourd’hui, les échanges dette-nature ne concernent toujours pas les projets de développement d’énergies renouvelables (alors que l’Afrique vise l’installation de 300 GW de capacités énergétiques issues des énergies renouvelables d’ici à 2030, ndlr.) par exemple, l’économiste au Cirad, Alain Karsenty, fustige le fait que ces organisations pour la défense ou la conservation de la biodiversité, pesant lourd sur la scène politique du fait qu’elles peuvent racheter de la dette sur le marché secondaire, deviennent des institutions incontournables qui ont définitivement leur mot à dire dans l’orientation des politiques environnementales. «Malheureusement, on peut leur reprocher une lecture biaisée des enjeux actuels, alors qu’elles mettent presque sous cloche certaines aires protégées, quand d’autres actions semblent beaucoup plus urgentes».
La Rédaction (Source Gabonreview)