Si les changements climatiques ne sont qu’une conséquence de la production des entreprises à travers le monde, ces dernières peuvent agir à leur niveau, pour limiter leurs dégâts. Ancienne directrice RSE dans le groupe TF1 et devenue depuis quelques années consultante sur les questions de développement durable, pour Catherine Piseux-Kakpo, président de l’association CinemaForChange, le rôle de ces acteurs économiques est déterminant dans ce challenge des temps modernes.
Début juin dernier, c’est à l’occasion de la première édition du Forum national de l’Environnement et du Développement durable sur la RSE organisé au Gabon par l’association RGEDD, lors de la journée mondiale de l’Environnement que la consultante a répondu à nos questions sur la RSE et sa composition technique. Dans les lignes qui suivront, nous vous invitons à vous abreuver de quelques savoirs sur cette question suite à ces réponses.
La Lettre Verte : de quoi est-il question lorsqu’on parle de RSE ?
Catherine Puiseux-Kakpo : La RSE est un concept qui vise à ce que l’entreprise, dans le cœur de ses activités, dans les relations avec ses parties prenantes, intègre les préoccupations sociales et environnementales. Je sais qu’en Afrique, la RSE est ramenée à une composante de Mécénat mais ce n’est pas cela la RSE. Ou plus exactement, ce n’est pas que cela la RSE. Sur ce volet, la norme ISO-26000 permet de mieux comprendre de quoi il est question lorsqu’on parle de RSE. Il s’agit ici d’amener les entreprises à se soucier des impacts négatifs générés par leurs activités aussi bien sûr le plan humain, de la santé-sécurité de leurs collaborateurs, de la diversité représentative de leurs équipes ou des relations qu’elles peuvent entretenir avec leurs fournisseurs ou la lutte contre la corruption à laquelle, elles doivent participer que les question touchant l’environnement.
C’est un ensemble de sujets qui font que l’entreprise va, en définissant les priorités, se préoccuper de l’impact qui va améliorer son image sur des questions des sociétés et de l’environnement. La RSE est donc une composante d’actions que l’entreprise adopte pour réduire ses impacts négatifs, et développer des opportunités qui sont en fait sa contribution à l’Agenda 2030 par exemple.
La Lettre Verte : à quel moment une entreprise doit-elle emprunter le chemin de la RSE ?
Catherine Puiseux-Kakpo : Je vous le dirai dès le début ! Si vous créez une entreprise, vous devez vous demander à juste titre : qu’est-ce que je peux concevoir comme produit qui correspond aux objectifs de l’Agenda 2030 ? A ce niveau, les possibilités sont immenses, car cela correspond aux besoins humains sur la planète et cela vous ouvre un panel de solutions à apporter qui respectent les équilibres écologiques.
En clair, tout le champ des énergies renouvelables, de l’agro business, du recyclage, de l’économie circulaire, de l’éducation, de la santé. Bref ! Tout cela contribue en fait à créer une somme d’opportunités fantastiques qui permettent de traiter avec des process économiques, aussi de ces sujets.
J’ai cité pendant le forum cette phase de Paul Polman qui est l’ancien PDG d’Unilever qui dit que l’agenda de 2030 est le plus formidable business plan au monde. Cet Agenda offre des opportunités de business et beaucoup de création d’emplois.
La Lettre Verte : Quels sont les enjeux de cette démarche qui se veut finalement volontariste ?
Catherine Puiseux-Kakpo : Elle est nécessaire parce que malheureusement la mondialisation ne s’est pas bâtie sur les bases de l’Agenda 2030 qui n’a été adopté que récemment. Les entreprises se sont bâties sur l’idée que le monde et la nature avaient des ressources infinies et que l’essentiel par ailleurs, était d’obtenir une pérennité économique en récompensant les actionnaires et investisseurs par des dividendes et les autres préoccupations ne sont pas rentrées dans leurs modèles initiaux.
A ce moment-là, personne ne s’est posé la question de savoir comment mes activités vont-t-elle être utiles au monde ? Comment les salaires que je verse vont contribuer à une égalité dans le monde ? Ces questions n’ont pas été posées au départ. On est parti sur un modèle qui ne comprenait pas les problématiques de durabilité.
Par le passé, les entreprises les plus anciennes ont souvent évité le sujet. Aujourd’hui, il est désormais question de les inculquer l’importance de la RSE dans leurs processus de vie. Mais à mon niveau, je fais souvent le distinguo entre deux cas de figure d’entreprises. Entre d’une part, celles qui pendant des décennies se sont battues et dans laquelle il faut absolument injecter la RSE, et d’autre part, les entreprises qui se créeraient aujourd’hui après que l’Agenda 2030 ait été promulgué, et après que les accords de Paris aient été signés.
Cette seconde catégorie d’entreprises se battrait en toute connaissance de cause en intégrant dans leur modèle d’affaires ces sujets. Je parlerais peut-être moins de RSE mais plus de modèles d’affaires durables.
La Lettre Verte : la RSE ne s’applique-t-elle qu’aux seules entreprises ?
Catherine Puiseux-Kakpo : Quand on attend RSE, la responsabilité sociétale des entreprises, c’est bien l’appropriation par l’entreprise des sujets de développement durable et d’inclusion sociale. Donc, on sous-entend effectivement qu’on prend le concept le plus global du développement durable auquel on apporte aussi la notion d’inclusion sociale, mais on le ramène à ce que l’entreprise peut faire en tant qu’acteur dans le monde. Mais si on est dans une institution publique ou une association, on va peut-être utiliser la même norme ISO-26000 mais à ce moment, on va parler davantage de RSO, de responsabilité sociale de l’organisation. C’est un peu la même idée. Le plus important est que l’ensemble du travail que l’on fait ait des impacts positifs.
La Lettre Verte : vous qui avez une bonne connaissance de la question. Quel est votre regard sur le déploiement de la RSE en Afrique ?
Catherine Puiseux-Kakpo : Figurez-vous que mon inspiration initiale c’est l’Afrique. C’est au Bénin, par l’intermédiaire de mon mari qui a créé au début des années 2000 une association, l’Agence africaine de développement durable (AADD). Il avait compris que les sujets sociaux, environnementaux et économiques allaient ensemble. Si une population est privée de ressources halieutiques ; par exemple un village de pêcheurs, parce que la mer est polluée et privée de ses ressources et bien, c’est toute la structure sociale et économique du village qui va le ressentir. C’est par son intermédiaire que j’ai compris ces sujets là et qu’il ne fallait pas traiter séparément certaines questions. D’un côté l’Environnement, de l’autre, l’Economie et en troisième lieu le Social. Car en fait, il s’agit d’un tout qui forme un système.
Je dirai que l’Afrique est le terrain sur lequel est né mon expertise ou en tout cas ma conscientisation. D’abord, en matière de mise en œuvre en Afrique, j’ai essayé de le faire valoir pendant les deux jours de ce forum, les pays comme le Gabon a beaucoup d’atouts à faire valoir. Comparé à l’occident, les ressources naturelles sont encore disponibles. On peut à ce titre, encore imaginer de les préserver pour l’avenir et les générations futures.
Ensuite parce que l’entreprenariat va fleurir en Afrique. Le taux d’industrialisation n’est pas encore considérable avec des vieilles infrastructures a démantelé. On peut ici aussi, constituer l’économie de demain dès aujourd’hui et sur des bases nouvelles.
Enfin, parce que l’Afrique est le continent qui regorge une importante jeunesse. De nombreux pays veulent créer une résilience autour de ces questions. C’est le cas du Gabon et du Benin qui veulent faire les choses différemment pour l’avenir et pour le développement du continent.
Le développement de l’Afrique se fera ainsi sur des modèles anciens de consumérisme ou sur des modèles nouveaux, en prenant en compte les valeurs africaines de partage, de solidarité. Par l’Afrique, le monde entier va vivre les choses différemment.
Concernant par exemple ne serait-ce que la question du changement climatique, selon la courbe qui sera celle du modèle de consommation en Afrique dans les années prochaines, et bien notre résultat mondial en terme d’émissions en matière de gaz à effet de serre ne sera pas le même.
L’Afrique est pour ainsi dire, le continent sur lequel la RSE ou à absolument toute sa place.
La Lettre Verte : quel peut être selon vous, le rôle des pouvoirs publics pour faciliter la prise en compte de la RSE en Afrique ?
Catherine Puiseux-Kakpo : Comme partout, chaque acteur à un rôle mais notamment l’acteur public. D’abord parce que comme je l’ai rappelé, la réglementation et la RSE marchent ensemble. La RSE défriche, la réglementation arrive pour généraliser en imposant des normes d’action aux acteurs. Ensuite, la RSE impulse des pratiques novatrices qui changent la façon des entreprises de faire certaines choses. La considération de ces pratiques ne peut se faire sans des règles qui permettent aux entreprises de comprendre leur structuration et de s’adapter. Ces règles doivent être véhiculées en douceur et dans une optique de s’aligner à l’Agenda 2030, afin de répondre à certaines exigences propres aux pays. Le rôle de l’Etat est tout aussi déterminant dans la mesure où il établit un cadre d’obligations ne serait-ce que de reporting extra financier pour les entreprises. Les pays de l’OCDE ont démarré par là.
En général on n’impose pas aux entreprises de le faire de suite mais on les impose de dire ce qu’ils font. Lorsque les entreprises se lancent dans cette logique, cela peut avoir un impact positif qui séduit le plus grand nombre notamment d’autres entreprises. Donc, la première chose à faire en termes de régulation est d’imposer un reporting extra financier. Cela permettra de créer de la concurrence entre les entreprises autour du concept de durabilité. Ce qui permettra aux pouvoirs publics et aux ONGs de mesurer le degré d’implication économique, environnemental et social des entreprises en fonction des actions posées.
Dans de nombreux pays africains, la question de la RSE est de plus en plus au cœur des préoccupations des gouvernants. Au Maroc par exemple, les autorités ont établi une charte, une sorte de label RSE par entreprise sur la base d’enquêtes. Au, Bénin, les dirigeants réfléchissent également à une charte. Ces chartes sont généralement basées sur la norme ISO-26000. Les autorités peuvent susciter un élan de cette nature en récompensant les entreprises nationales.
La Lettre Verte : votre mot de fin…
Catherine Puiseux-Kakpo : Comprenant l’élan, l’envie et toutes les demandes de formation pour la compréhension de la RSE, j’aurai très envie d’abord que ce forum trouve ça pérennité. Parce que c’était son objectif. Celui de devenir un rendez-vous régulier des acteurs intéressés au Gabon par la question du rôle de la RSE dans le processus de développement durable. Pourquoi pas nous retrouver l’année prochaine ? Que les acteurs qui s’intéressent à cette question continue d’être ensemble dans cette dynamique. Puis, qu’un réseau se crée et que le Gouvernement soutienne par des actions de réglementation et de régularisation mais aussi de mise en visibilité ces initiatives.
J’ai été très heureuse de la présence des médias, car les médias ont un rôle extrêmement important pour sensibiliser le public pour que les modes de consommation évoluent mais aussi pour faire valoir ou inverser les valeurs aujourd’hui. Il faut que demain ça soit l’entreprise la plus durable qui soit celle qui ait la meilleure réputation, pas nécessairement comme celle d’hier qui fabrique le produit le plus cher et le plus rutilant. Il faut que ce soit celle qui ait le mieux intégrer les notions de limite naturelle et qui sert le mieux les clients par des produits utiles, sains et durables. Ce renversement de valeurs, c’est sont les médias qui vont l’accompagner.
Interviewer, Michaël Moukouangui Moukala