- Le leader de la conservation en Afrique est un géant aux pieds d’argile
- L’illusion d’une bonne gouvernance forestière
- L’administration des Eaux et Forêts et ses pratiques hors la loi
Le Gabon, avec ses 267 667 km² de superficie totale, plus de 88% de couvert forestier, est un des pays les plus boisés au monde. Il se positionne depuis plusieurs années comme le leader incontesté de la conservation en Afrique et dans la région du bassin du Congo, dont les forêts font partie du deuxième poumon vert de la planète, après l’Amazonie. Son énorme potentiel écologique et bio culturel lui est reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique du monde.
Les forêts gabonaises hébergent d’importants peuplements de buffles de forêt, de gorilles, de singes mandrills, plus de 60% des éléphants de forêt restants, les chutes d’eaux les plus belles du continent, des vestiges culturels témoins de l’histoire des peuples locaux et une flore à couper le souffle. Ces forêts absorbent un total de 140 millions de tonnes de CO2 chaque année.
En 2002, le pays s’est lancé dans une politique offensive de conservation en érigeant une grande partie de sa forêt tropicale (11 % du territoire), en créant 13 parcs nationaux, dont l’un d’eux, l’Ivindo, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Dès son accession à la tête du pays en 2009, Ali Bongo Ondimba fait interdire l’exportation des grumes de bois gabonais et créé en 2010 le Conseil National du Climat (C.N.C), une instance qui promeut les politiques relatives au changement climatique en conformité avec les stratégies de développements sectoriels du pays. Cela donne au gouvernement plus de crédibilité dans les négociations de la CCNUCC (Convention Cadre des Nations Unies pour le Changement Climatique).
En 2019 au Sommet Action Climat, le Gabon signe un accord historique avec l’Initiative pour les Forêts d’Afrique Centrale (CAFI). L’octroi de 150 millions de dollars de paiement basé sur les résultats d’absorption du carbone sur une période de 10 ans est acté et en juin 2021, le pays reçoit un premier décaissement de 17 million de dollars.
Le pays savoure les retombées de sa politique de préservation. Il est ainsi le premier pays africain à toucher de l’argent sur la réduction avérée des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts. Ce premier paiement récompense les efforts du Gabon en 2016 et 2017, par rapport aux niveaux d’émission annuels de 2006 à 2015.
Aux dires du Ministre des Eaux et Forêts de l’époque, Lee White, « le Gabon s’est engagé sur 30×30, la coalition de haute ambition pour la nature. Mais en réalité, nous concevons plutôt cet objectif comme 30:30:30:30. Cela signifie 30 % de nos Océans, 30 % de terres, 30 % d’eaux douces protégées en 2030 » soutiendra-t-il.
Même si le ministre des Eaux et Forêts avoue avoir échoué sur le dossier de certification de 100 % de concessions forestières en 2022 qui était un engagement pris par Ali Bongo Ondimba en Septembre 2018. « Nous n’avons pas pu tenir cet engagement à cause de la Covid 19. 2020 et 2021 étaient des années très serrées pour nous », soutiendra Lee White. Toutefois, aux yeux de bon nombre d’observateurs, la politique de conservation des forêts gabonaises, telle que clamée par ses autorités, est un exemple sur le continent.
Toutefois, une certitude demeure. Les problématiques touchant les sujets sensibles tels que la mal-gouvernance forestière, les crimes environnementaux, la corruption, le conflit hommes éléphants sont volontairement minimisées alors qu’au fil des années, ils croissent inexorablement.
L’illusion d’une bonne gouvernance forestière
En 2009, Lee White est nommé ministre des Eaux et Forêts. Cette promotion de l’ancien patron de l’Agence Nationale des Parcs Nationaux (A.N.P.N), au plus fort du Kevazingogate, le plus gros scandale de criminalité forestière jamais enregistré au Gabon, avec la saisie 350 containers au port d’OWENDO, Sud de Libreville, contenant au total 5.000 m³ de kevazingo (Bois de couleur rouge, noire ou marron, ce bois qu’on appelle aussi Oven (en langue Fang) ou Bubinga) est particulièrement prisé par les Asiatiques, notamment Japonais et Chinois), prêt à être embarqué vers plusieurs pays asiatiques.
Ce scandale qui avait conduit à la démission du ministre des Eaux et Forêts de l’époque et à l’interpellation de 13 hauts fonctionnaires des ministères de l’Économie, des Eaux et Forêts et de la Douane gabonaise, exigeait un homme neuf et exempte de reproche à la tête du ministère des Eaux et Forêts. Le choix du Président de la république se portera sur son conseiller, expert des questions environnementales. Lee White est ainsi nommé par Ali Bongo Ondimba.
Le natif de Manchester City s’est souvent félicité devant les médias locaux et internationaux de la confiance placée en lui. « J’ai été nommé pour essayer de mettre de l’ordre dans ce secteur forestier. On sait que la corruption dans le secteur forestier a même financé des campagnes politiques dans le passé… On sait qu’en 2016, 2017, on perdait jusqu’à 300 000 Euro par an en évasion fiscale, en exploitation illégale. On a réussi à beaucoup diminuer ces chiffres » disais-t-il au micro de nos confrères de TV5 Monde
https://www.youtube.com/watch?v=_EMaaMTf0H4&pp=ygUkbGUgbWluaXN0cmUgbGVlIHdoaXRlIHN1ciB0djUgbW9uZGUg
Le ministre Lee White dont la compétence et l’ambition étaient reconnus et appréciées de tous, était pour le commun des gabonais, « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ».
Assainir la gouvernance forestière, promouvoir la politique environnementale du pays, porter la voix du Gabon à l’international, concilier ‘’conservation et exigences de développement ’’, voilà résumée la mission du ‘’ministre blanc’’.
Premier challenge, développer la Zone Économique Spéciale du Gabon (GSEZ) située à 27 km de Libreville, la capitale du pays.
Ces résultats sont attribués à la vision du Chef de l’État Ali Bongo et matérialisés par l’engagement, entre autre, des autorités du ministère des Eaux et forêts dont le Professeur Lee White.
Ces dernières années, le Gabon a amélioré son positionnement en matière de conservation de la biodiversité.
En 2019, les Forêts Communautaires ayant signées une Convention définitive étaient au nombre 51, pour une superficie totale de 259 883 ha, contre 41 sous Convention Provisoire pour une superficie totale de 113 454 ha. Sur la même année, on dénombrait 97 concessions forestières dont 12 739 939 ha sous aménagement forestier (UFIGA, 2020).
L’administration des Eaux et Forêts et ses pratiques hors la loi
Le magistère du Professeur Lee White au ministère des Eaux et forêts n’a pas été qu’un long fleuve tranquille. Au bout de la deuxième année de sa prise de fonctions, les principaux syndicats du Ministère lancent une grèves générale pour dénoncer, entres, les mauvaises conditions de travail, la caducité du code forestier, la suppression des primes des agents, la corruption qui gangrène le département et les injustices de plusieurs ordres dont sont victimes les agents de la part de la hiérarchie.
Cette grève générale lancée en 2021 a durci le ton depuis Janvier 2023. Dans une communication rendue publique, le syndicat fustigeait, de plus belle, l’impunité de l’un des hauts responsables du ministère et de plusieurs proches collaborateurs du ministre qui s’illustraient davantage par des « pratiques particulièrement graves ».
Le Directeur Général des Forêts (DGF), Ghislain Moussavou qui avait été interpelé par la justice et placé en détention provisoire pendant 3 mois à la prison centrale de Libreville, au motif de plusieurs chefs d’accusation dont « Corruption, vente illégale de 200 permis d’exploitation forestière, malversation, et escroquerie ». Contre toute attente, l’homme avait repris ses fonctions alors qu’il jouissait d’une liberté conditionnelle. Une situation mal acceptée par les syndicats qui disaient avoir des preuves de tous les maux qu’ils lui reprochaient.
Le 08 Octobre 2022, à travers une note de 10 pages, le SYNAPEF, rendait public un ensemble de faits inédits mettant gravement en cause une demie douzaine de proches collaborateurs du ministre dont Ghislain Moussavou. Dans cette note, on y trouve un recueil d’actes et de procédures en violation des dispositions du code forestier, des supposées preuves de malversation, de détournement de fonds, de faux et usage de faux, bref, des pratiques dignes d’une organisation mafieuse bien structurée.
Fort de cela, le SYNAPEF s’est constitué partie civile et a déposé une plainte contre le DG des forêts G. Moussavou en mai dernier 2023.
Dans la même foulée, des documents tendant à démontrer l’implication directe du ministre dans l’octroi illégal de 2,5 millions d’hectares de superficie forestière à une entreprise aux capitaux majoritairement étrangers, en violation de l’article 101 du Code forestier qui plafonne à 600.000 la superficie totale que peut détenir une société et ses filiales, ont été produits.
Ces mêmes sources soutiennent que «le 11 Février 2022, Lee White aurait signé 2 arrêtés (No 0001 et 0005 portant attribution de 2 Permis Forestiers Associés PFA (superficie 57 785 et 97 588) octroyé à la même entreprise (GSEZ) en parfaite violation du code forestier ».
L’article 96 du code forestier et l’ordonnance 11 (article 2 et 14 ) qui réservent les PFA aux seuls nationaux et ou aux entreprises dont les capitaux sont détenus, au moins à 50 % par des gabonais auraient été manifestement ignorés .
Le mardi 12 Septembre 2023, Ghislain Moussavou a été de nouveau interpelé par les agents de la Direction Générale des Recherches DGR alors qu’il tenait une réunion de travail avec ses collaborateurs dans les locaux du ministère des Eaux et Forêts.
Pour Didier Atome Bibang du SYNAPEF, « c’est une satisfaction partielle. Ghislain Moussavou n’est que le maillon d’une chaîne qui remonte jusqu’au sommet de la hiérarchie précédente », allusion faite au ministre Lee White.
Plusieurs documents et témoignages seraient à charge contre le Ministre Lee White, démis de ses fonctions avec tous les membres du gouvernement suite au changement de régime au Gabon le 30 Août dernier.
En plus de ces faits qui violent les règles élémentaires de la bonne gouvernance forestière, il a été documenté dans la province de l’Ogooué-Ivindo des pratiques illégales en violation du code forestier gabonais dans plusieurs exploitations forestières, TBNI, entre autres. Des pratiques soutenues par Mr Ghislain Moussavou DG des forets, au profit de plusieurs exploitants forestiers chinois.
D’après un des conseillers du ministre Lee White qui a requis l’anonymat, la signature des deux arrêtés incriminés l’ont été sur instruction expresse de la Présidence de la République.
Notons que par l’entremise de son conseiller en communication nous avons tenté de joindre le mis en cause sans succès.
Benjamin Evine Binet